Assis, debout, accoudés à une sécheuse ou en tailleur sur une machine à laver, on s'est retrouvé là un beau soir. L'un a sa guitare sur le dos, l'autre un recueil de Claudel sous le bras, le troisième tente de faire passer son violoncelle par la porte.... Mais où sommes nous?
Mercredi dernier, j'ai participé à la 7ème édition du Lavomatic Tour.
L'information a circulé de bouche à oreille, d'autres sont arrivés par hasard. Il est 20h, le rituel veut que la scène soit ouverte une fois la machine collective lancée. On ne fait pas semblant. Alors on se cotise, on sort qui une paire de chaussettes, qui un sweat à capuche, on se met d'accord sur le choix du programme... La soirée commence, tambours battant... Le compte à rebours est lancé, notre petite sauterie aux allures de réunion secrète ne durera que le temps d'un cycle lavage-séchage. Il n'y a pas de temps à perdre.
Ici il n'y a ni scène, ni micro, la parole est à qui veut la prendre et il revient à chacun de recréer autour de soi son propre terrain de jeu, travestissant une vulgaire marche en scène de concert, une machine à laver en tribune ou juste un simple tabouret dans un coin pour les plus timides. Elie Guillou, en bienveillant Maître du temps s'assure que la parole tourne aussi bien que les machines et garde le rythme par de subtiles transitions.
Ici, on vient pour la beauté du geste. On a pas peur de jouer avec les bruits de la ville, on pousse la chansonnette comme dans un moulin. Des curieux rentrent, d'autres repartent, on se serre, on accueille avec un sourire amusé les habitants du quartier déboulant surpris avec leur sac de linge sale. Un trio pour violoncelle et deux éboueurs, une compo perso, un texte lu, un autre chanté, on s'essaye... La voix chevrote un peu au début, encouragée par les regards bienveillants elle s'affirme ensuite, sur les caisses de linge on bat la mesure.
Je suis venue en curieux visiteur, sagement assise dans mon coin, et de chanson en lecture, d'histoire racontée en duos endiablés, je me suis dit... et pourquoi pas moi ? Et bien justement, au Lavomatic Tour, on a tout prévu.. juste avant que la sonnerie de la sécheuse retentisse comme tombe le rideau au théâtre, on lance une polyphonie générale, ultime invitation lancée aux plus farouches. Le concept est simple, tout le groupe tient une note sonore permettant aux plus timides de chanter, déclamer, chuchoter, inventer ce que bon lui semble sans crainte d'être entendu par le voisin...
Merci à Elie et Dylan Guillou, les géniaux inventeurs du Lavomatic Tour pour ce grand moment de fraternité partagée entre un distributeur de poudre ARIEL et un tambour de machine à laver. Effet adoucissant garanti...
Ne manquez pas les prochaines éditions du Lavomatic Tour !
Il n’y a pas besoin de s’inscrire à l’avance, il suffit de se présenter quelques minutes avant le début de la session. Il n’y a qu’une seule règle : amener une socquette pour la machine collective
– Au Havre, le 1er mardi du mois à 18H30
– A Paris, le 1er mercredi de chaque mois. L’adresse est différente à chaque fois
– A Rennes, la machine collective tourne le 1er jeudi de chaque mois.
– A Brest, la lessive commune se partage le 2eme vendredi du mois à 19h00.
– En Avignon, on lave tout le premier mardi du mois à 19H30 au 9 rue du Chapeau Rouge.
– Si vous souhaitez organiser le Lavomatic Tour dans votre ville, contactez le Lavomatic Tour
Plus d'infos sur : http://www.elieguillou.fr/projets/lavomatic-tour/
Un moment d’anthologie.
Je ne saurais comment décrire autrement l’évènement auquel j’ai assisté hier matin.
Imaginez la présentation de saison d’un Centre Dramatique National de banlieue parisienne.
Imaginez que la direction du théâtre, soucieuse de son inscription dans un territoire peu connu pour sa fréquentation des salles de spectacle, ait choisi le Mini Palais, restaurant branché du 8ème arrondissement, pour inviter autour des cinq metteurs en scène à l’affiche, une petite communauté d’initiés, journalistes, fidèles abonnés, et artistes de leur état. (Dois-je faire ici un paragraphe sur la sociologie singulière de ces invités, tout à fait représentative de la population de la dite ville de banlieue ?
Je ne pense pas que ce soit nécessaire.)
S’en suit deux heures d’échanges.
Présenter son œuvre constitue pour tout artiste un exercice difficile, voire périlleux. Dire son œuvre, c’est se dire. Sans tout dire pour autant. C’est raconter l’histoire d’une naissance, celle de l’œuvre, ou le récit d’un avènement, celui d’une forme jamais complètement achevée qui tout d’un coup s’impose. Mettre des mots sur ce processus, c’est déjà figer, arrêter, nommer, c’est déjà trop en dire.
Et pourtant.
Deux heures d’obscure logorrhée. A n’en pas douter, cette scène trouverait bonne place dans un film d’anthologie genre « Vol au dessus d’un nid de coucou » ou « Rencontre du troisième type », le plus étrange étant cependant que ceux là même qui tentent de communiquer avec nous parlent notre langue…
Que retenir de ces échanges ? Le souvenir d’une matinée ubuesque dans un lieu fort sympathique ? Une liste de mots inconnus de la langue française tels que « coudoiement », « colure » ou autres barbarismes ? La conviction bien trop facile que le monde des créateurs est à monde « à part », amusant, presque fascinant mais qu’il est à approcher comme des ornithologues s’approcheraient d’un groupe d’oiseaux non répertoriés à l’inventaire ?
Ce serait bien dommage.
Bien loin d’ailleurs de l’intention de la directrice des publics à l’initiative de cet évènement.
Les publics ? Parlons-en.
Absents.
Pas un mot en deux heures.
Pas même, à un moment, l’évocation de cette oreille, discrète, dans le noir, qui écoute, cherche, s’interroge et tente de comprendre.
Je veux retenir ici l’occasion d’une adresse à ces créateurs, auteurs, metteurs en scène, comédiens, tous artistes de talent.
Du lieu où vous êtes, lointaines contrées aux langues méconnues, tâchez, de grâce, de trouver un chemin pour nous rejoindre, nous modestes spectateurs, simples vivants dans une société où l’art trouve si peu à se dire. Vous retrouverez alors le sens du théâtre, du théâtre public qui, pour porter notre nom, est aussi le nôtre.
Aujourd'hui, j'ai été veuve de guerre en 17, fanfaron, accrobate et danseur, j'ai été délaissée par mon mari, promue à la Chambre des Lords et humiliée publiquement pour un zéro en dictée.
Aujourd'hui, j'ai rêvé, pleuré, ri,j'ai été traversée par l'irrépressible envie de vivre, j'ai connu la tristesse des mères éplorées, la jubilation de l'homme libre et l'insouciance des amoureux.
Aujourd'hui, j'ai eu 6 ans puis 10, j'ai réveillé en moi les fièvres adolecentes et l'enthousiasme éperdu de mes 20 ans. J'ai vu grisonner mes cheveux dans le miroir puis malade, j'ai été mourant.
Aujourd'hui, au théâtre, j'ai été immortelle...
Imaginez un parterre de ministres, une assemblée de politiques, une foule immense de bureaucrates européens réunis pour parler de la culture en Europe à grand renfort de normes, de textes, de juridictions et de circulaires... Face à eux, sur la scène du Théâtre de Chaillot une poignée d'artistes, danseurs, poètes, chorégraphes, metteurs en scène, réalisateurs, écrivains... et parmi eux une voix qui se lève pour tant d'autres.
Quelques mots à la tribune pour dissiper le pessimisme ambiant et ballayer d'un revers de manche les eurosceptiques... C'est la voix de Macha Makeieff, metteur en scène de renom et directrice du Théâtre de la Criée à Marseille qui a pris tout le monde par surprise ce vendredi 4 avril alors que le Ministère de la Culture avait convié ses homologues pour des journées de travail.
Une voix libre et incantatoire qui a boulersé l'auditoire dont j'étais et dont je suis heureuse de vous partager les quelques mots....
"Qu’est-ce que l’Europe désire de ses artistes ? Qu’est-ce qu’elle attend de nous ?
Est-ce que l’Europe va pouvoir nommer et reconnaitre la valeur de ce qui est une expression de l’immatériel, de l’intangible, du non mesurable ? Est-elle seulement en l’état actuel de ses règlements et de ses normes désirante de ses artistes et de ses penseurs ? De la singularité des artistes, de l’exception de la singularité artistique et des circonstances de cette création ?
Sommes-nous seulement les acteurs touristico-culturels aux précieuses retombées économiques ou sommes-nous les défenseurs de l’imaginaire ? Dans nos lieux d’art, il y a deux échelles: le rayonnement international et européen, et les lieux de la proximité, au plus près des êtres.
Fera t-on monter dans l’arche de l’Europe en construction toutes les espèces d’êtres vivants mais aussi les chimères, les monstres et les hybrides que nous sommes ? Est-ce que l’Europe veut de ces êtres singuliers que nous sommes ? Veut-elle aussi de ces lieux d’insolence, de l’imaginaire fort et libre ? Veut-elle pour ses artistes autre chose que le nivellement, les contraintes, les règlements et les normes ?
Nous croyons que les artistes sont encore des veilleurs, des prophètes insolents, irréductibles, que leur pouvoir de réenchanter le monde par l’imaginaire est une réponse forte contre la misère morale, la réduction des âmes, la désespérance, ce terreau de la barbarie ordinaire. Ce serait une faute de l’esprit, une erreur historique de ne pas répondre à la singularité des artistes, à l’exceptionnel de leurs pratiques, de ne pas protéger la liberté des lieux et les circonstances de la création artistique. Portons aux nouvelles générations cet héritage de la vérité par l’art et par la culture sans laquelle l’Europe serait sans la lumière, sans la joie, sans le sacré parce que les artistes, libres et soutenus, les poètes entendus, inventent notre futur contre la désespérance."
Discours de Macha Makeieff,
Le 4 avril 2014
Forum de Chaillot," Avenir de la culture, Avenir de l'Europe"
Nous sommes de drôles d’animaux. Mais de ce que je retiens de Her, ce film dont je sors, et de La singulière tristesse du gâteau au citron, ce livre que je suis en train de lire (p281/331), nous sommes des animaux aimants. Non pas que nous compliquions les choses à dessein. Chacun d’entre nous à ses chemins de traverse, ses besoins de repli et ses grandes tangentes. Nous sommes souvent à notre façon un peu alien, un peu autiste, un peu handicapé de l’autre. Et pourtant, ces deux belles histoires comme tant d’autres racontent comment la rencontre est possible. Au travers de nos bizarreries respectives (elle est une voix artificielle, il porte des pantalons vraiment trop taille haute / elle sent les sentiments des cuisiniers dans les plats qu’elle mange, il est surdoué et absent) une certaine sincérité peut s’établir entre deux êtres, amorce d’autre chose. Quelque soit notre manière d’aimer elle est là, tapie au fond de nous. Parfois elle devient lien, se transforme, s’incarne, dure un instant ou toute une saison.
Le cinéma, le théâtre, la littérature, la poésie sont capables de me faire découvrir tous ces moments singuliers. C’est ce qui fait que je pousse les portes des théâtres et que j’ouvre les livres. Parce que toutes ces histoires d’amour et d’amitié, banales, bizarres, hors normes, imaginaires, amorales et pas comme il faut, nourrissent à chaque fois la flamme de mes amours, à moi.
« Et il n’a pas bougé, n’a pas avancé ni reculé, et moi non plus, mais c’était comme si une brise légère était entrée par la fenêtre et nous avait poussés l’un vers l’autre des quelques centimètres nécessaires » dans La singulière tristesse du gâteau au citron
« Falling in love is a crazy thing to do. It is kind of a form of a socially acceptable insanity » dans Her
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Her , réalisé par Spike Jonze, vec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams. Dans les salles de cinéma en ce moment
La singulière tristesse du gâteau au citron, de Aimée Bender, Editions Points
et la photo est tirée de Just Kids de Patti Smith, encore un exemple d'amour si spécial et si vrai