Eté indien. Les touristes et les parisiens profitent des derniers rayons du soleil qui se cognent à la coupole dorée de l'Opéra Garnier. Dans la cohue ordinaire, deux serpents humains se créent. Ce soir, on patiente sur le perron avant de pénétrer dans le Palais de la danse. Ce soir on y sera chez nous, libres de déambuler dans les différents espaces, les couloirs, les recoins, les balcons. Ce soir, ironie du sort, le seul espace qui nous est refusé est la salle qui abrite les préparatifs du spectacle "habituel".
Benjamin Millepied a confié à Boris Charmatz ce ballet d'un nouveau genre. Nouvel exercice, manque de mots, on assiste ce soir à des performances, comme si seule la contemporanéité de l'art éponyme pouvait accueillir cette expérimentation. Performance qui est celle des 20 danseurs qui, sous nos yeux de badauds, réinterprètent les grands moments de danse du XXème siècle. Aux incontournables Chaplin, Nourreev, Nijinsky, Cunningham ou Pina Bausch s'ajoutent l'improvisation animalière, le Bollywood, le krump ou le voguing. Comme Place St Michel devant les rapeurs hip-hop, on se presse et se bouscule, on cherche un coin pour s’asseoir et mieux voir, on s'en va avant la fin, on traverse l'espace plus ou moins discrètement, on applaudit, on frappe le rythme, on tente de saisir avec son téléphone un instantané de la grâce, on se perd enfin. On se perd dans ces moments de danse, offerts sans trop savoir d'où ils viennent et ce qu'il racontent. Les danseurs nous le communiquent, parfois avec une voix de stentor pour nous raconter la rencontre de la nymphe et du faune, parfois avec un filet de voix timide mangé par le mouvement qui déjà commence. On se perd dans l'Opéra, abandonnant la carte donnée à l'entrée pour suivre les mouvements de foule, trouver son propre chemin dans ces galeries en réseau où se côtoient les ors rutilants du salon d'apparat et l'obscurité intime de petites chapelles. On se perd dans le temps, incapable de faire le tri entre le répertoire séculaire réinterprété par les chorégraphes modernes, le folklore urbain bien plus ancien qu'on ne veut le croire, les années 80 tellement has been qu'elles connaissent un retour de hype. On se perd dans la foule, repérant parfois un corps alerte qui ôte son pantalon de survêtement d'une main tout en courant vers l'emplacement de son prochain solo. On se perd dans les corps, dans les mouvements, dans les yeux des danseurs. Le sentiment d'être un privilégié parfois voyeur, aux premières loges, nous prend. Ne pas lâcher le regard, saisir les muscles qui saillent et se détendent, la sueur et les souffles, l'histoire que parfois le danseur nous raconte entre deux inspirations, attraper le rire d'un corps cocasse et savourer le sourire qui pointe aux lèvres en reconnaissant la référence, en revivant ce lac des cygnes vu il y a 10 ans à l'Opéra Bastille. C'est imparfait, dénudé de tout décor ou costume, cacophonique. Et malgré cela, à partir de 18h à l'Opéra Garnier, une étoile en mini short de marathonienne nous fait revivre la mort du cygne. Elle est seule avec son enceinte, ailleurs dans les allées le public applaudit le solo de Petrouchka le pantin, il faut tendre l'oreille pour entendre la musique qui l'anime, et pourtant elle recrée, par ses gestes maîtrisés, l'émotion, sans l'aide d'un tutu ployant et d'un orchestre symphonique.
A 19h30, on a retrouvé le parvis de l'Opéra un peu frustrés de ne pas avoir tout vu et tout compris. La lumière baissait sur Paris et les questions se bousculaient : demander aux danseurs si c'était la même fatigue qu'après un ballet "normal", s'ils étaient heureux, eux, de nous voir de si près, s'ils s'amusaient ; demander à Boris Charmatz comment il avait choisi les solos, ce que voulaient dire ces morceaux de danse pour lui ; demander à l'Opéra de Paris si c'était un choix de nous donner si peu d'indices pour ce jeu de piste. Si ces interrogations demeurent, reste surtout vivace le sentiment d'avoir assisté à une expérience réussie et précieuse, forcément perfectible dans sa forme, mais nécessaire dans le fond, pour que les ors de Garnier restent vivants, et nous avec.
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Jusqu'au 11 octobre au Palais Garnier
à 18h. Durée 1h30.
Plus d'info sur le site de l'opéra.
Elle est bizarre cette génération... un peu ici, un peu ailleurs.
Travailler, échanger, se rencontrer, apprendre, s'orienter, se souvenir, être ensemble... Il n'y a plus grand chose qu'elle ne fasse "comme avant", presque aucune fonction de son quotidien qui ne soit modifiée par l'usage d'une technologie.
Elle est un peu bizarre cette génération...
J'ai aimé ce spectacle,
il m'a plu,
il m'a ému.
En proposant une succession de tableaux courts, il met en lumière le meilleur et le pire de ce qu'Internet a apporté à nos vies. Il révèle avec humour et dérision ce que la technologie augmente (vraiment) et ce qu'elle rétrécit, nous laissant les yeux hagards devant un écran de fumée blanche. Il brosse le portrait d'une jeunesse qui n'a perdu ni sa soif de grands espaces, ni son désir inextinguible de faire le monde meilleur.
Un pied de nez aux idées reçues, un coup de gueule, une tirade bien sentie qui vient du coeur... appelez le comme vous voulez. Le spectacle se termine par cette prise de parole collective déclamée avec l'énergie rebelle de l'adolescence, avec l'enthousiasme de la jeunesse chevillée au corps. Une déclaration un peu incantatoire, une demande simple, la prière d'une jeunesse qui demande un peu de confiance pour grandir, un peu d'encouragement pour chercher la lumière dans le monde d'aujourd'hui.
" Nous aussi on cherche le bonheur et on voudrait un peu d'amour,
c'est pas de notre faute si les moyens qu'on nous donne aujourd'hui pour y acceéder sont un peu plus froids et personnels, on s'en sort pas trop mal.
Ok il y a peut-etre beaucoup d'hypocrisie dans tout ça et nos rapports sont parfois un peu superficiels, mais pas toujours !
Pas toujours !
Et moi je crois qu'on va faire un truc bien,
Et je crois que nos enfants seront pas plus malheureux qu'on l'a été,
Et je crois qu'on est encore capable de former un groupe, un vrai groupe avec de vrais gens et
que c'est pas encore demain qu'on aura plus besoin de se toucher,
de se sentir,
de se respirer et de s'embrasser sur la bouche ! "
Devant moi, trois collégiennes essuient une larme.
E-Génération
Par la Cie J'ai peur que ça raconte autre chose
Une création orginale de Jean-Christope Dollé
Du 4 au 26 juillet au Théâtre du Grand Pavois, Avignon
Crédit photo : Gael Rebel
Une partition toute de corps et de mots.
Ring met en mouvement ces petits riens et ces grands élans qui font l'histoire de nos amours. Il est des douleurs qui font moins mal lorsqu'elles trouvent un mouvement pour se dire, des jaillissements qui au fond de nous tremblent et que le geste révèle mieux que la parole.
Sarah Biasini et Fabio Zenoni forment un duo singulier en perpétuelle construction et déconstruction. L'un et l'autre disent, à leur manière et pour chacun de nous, ce besoin ultime qui fait notre humanité si fragile : celui d'être ici et maintenant compris, saisi, accueilli, touché, aimé.
Sur ce ring, les coups sont feutrés, les trajectoires chorégraphiées, les joutes verbales. L'adversaire n'est jamais qui l'ont croit et peut devenir allié lorsque la nuit tombant, la lutte laisse place à l'étreinte.
Sublime, Sarah Biasini incarne une lumière vive qui jamais ne s'éteint, point d'or qui tient éveillé le courage et fait la lutte plus belle.
La pièce s'achève par quelques mots prononcés face public, les yeux plantés dans les nôtres, un sourire tragique traversant un visage radieux : "Regarde le présent comme il est beau. Il a manqué à notre amour".
La phrase est restée quelque part suspendue...
Ring de Léonore Confino
Avec Sarah Biasini et Fabio Zenoni
Du 4 au 26 Juillet au Théâtre du Chêne Noir, Avignon
Il fallait oser. Aborder le sujet éminemment sensible de l’euthanasie dans une pièce d’une heure trente mettant en scène des personnages directement inspirés de faits réels. La pente est glissante. Posture manichéenne et jugements à l’emporte-pièce sont à portée de main, qui pourraient menacer de faire glisser le traitement artistique sur le terrain de la polémique.
Mais il n’en est rien. Le pari est réussi.
Amédée est un jeune homme comme tant d’autres. Un peu là et un peu ailleurs, il veut être acteur de sa vie et héro de ses jeux vidéo. Un enfant comme tant d’autres qui cherche sa place au soleil. Et puis survient ce jour, fatal. Fin partie pour ce joueur invétéré dont la vie se réduit, en un instant, à un souffle improbable, presque imperceptible, sous les débris fumants de taule froissée. Un accident qui fait irrémédiablement basculer sa vie du côté du monstre, du côté de cette réalité que l’on ne peut soutenir du regard et qui pourtant, bien vivante sous les paupières mi-closes, se tourne et se retourne, se cherche une vie pour exister.
Il y a des choses que seul le théâtre peut dire. Dire de cette voix qui lui est propre et qui n’est ni affirmation péremptoire, ni jugement hâtif. Ce que le théâtre peut dire, il le dit avec des corps et des mouvements, des silences et des non-dits. Faibles signaux d’une réalité complexe que seules les trajectoires humaines peuvent raconter. Nul relativisme dans le croisement des postures, mais une intuition qui s’installe, peu à peu, dans la conscience du spectateur, celle qui porte à croire que la liberté de choisir et la volonté de lutter contre ce qui abat, ébranle ou fragilise, ne peut s’exercer que dans un espace de silence dont la société trop souvent nous prive.
Renoncer à la tentation du spectaculaire, régime de visibilité trop facile d’une souffrance médiatisée, pour laisser le théâtre lui-même nous parler de la vie et de la mort, avec le rire au bord des yeux : voilà le défi relevé par Côme de Bellescize et son équipe.
Amédée
Texte et mise en scène de Côme de Bellescize - Théâtre 13
Festival d'Avignon, Du 4 au 26 juillet 2015, L'Entrepôt, 13h45
Assis, debout, accoudés à une sécheuse ou en tailleur sur une machine à laver, on s'est retrouvé là un beau soir. L'un a sa guitare sur le dos, l'autre un recueil de Claudel sous le bras, le troisième tente de faire passer son violoncelle par la porte.... Mais où sommes nous?
Mercredi dernier, j'ai participé à la 7ème édition du Lavomatic Tour.
L'information a circulé de bouche à oreille, d'autres sont arrivés par hasard. Il est 20h, le rituel veut que la scène soit ouverte une fois la machine collective lancée. On ne fait pas semblant. Alors on se cotise, on sort qui une paire de chaussettes, qui un sweat à capuche, on se met d'accord sur le choix du programme... La soirée commence, tambours battant... Le compte à rebours est lancé, notre petite sauterie aux allures de réunion secrète ne durera que le temps d'un cycle lavage-séchage. Il n'y a pas de temps à perdre.
Ici il n'y a ni scène, ni micro, la parole est à qui veut la prendre et il revient à chacun de recréer autour de soi son propre terrain de jeu, travestissant une vulgaire marche en scène de concert, une machine à laver en tribune ou juste un simple tabouret dans un coin pour les plus timides. Elie Guillou, en bienveillant Maître du temps s'assure que la parole tourne aussi bien que les machines et garde le rythme par de subtiles transitions.
Ici, on vient pour la beauté du geste. On a pas peur de jouer avec les bruits de la ville, on pousse la chansonnette comme dans un moulin. Des curieux rentrent, d'autres repartent, on se serre, on accueille avec un sourire amusé les habitants du quartier déboulant surpris avec leur sac de linge sale. Un trio pour violoncelle et deux éboueurs, une compo perso, un texte lu, un autre chanté, on s'essaye... La voix chevrote un peu au début, encouragée par les regards bienveillants elle s'affirme ensuite, sur les caisses de linge on bat la mesure.
Je suis venue en curieux visiteur, sagement assise dans mon coin, et de chanson en lecture, d'histoire racontée en duos endiablés, je me suis dit... et pourquoi pas moi ? Et bien justement, au Lavomatic Tour, on a tout prévu.. juste avant que la sonnerie de la sécheuse retentisse comme tombe le rideau au théâtre, on lance une polyphonie générale, ultime invitation lancée aux plus farouches. Le concept est simple, tout le groupe tient une note sonore permettant aux plus timides de chanter, déclamer, chuchoter, inventer ce que bon lui semble sans crainte d'être entendu par le voisin...
Merci à Elie et Dylan Guillou, les géniaux inventeurs du Lavomatic Tour pour ce grand moment de fraternité partagée entre un distributeur de poudre ARIEL et un tambour de machine à laver. Effet adoucissant garanti...
Ne manquez pas les prochaines éditions du Lavomatic Tour !
Il n’y a pas besoin de s’inscrire à l’avance, il suffit de se présenter quelques minutes avant le début de la session. Il n’y a qu’une seule règle : amener une socquette pour la machine collective
– Au Havre, le 1er mardi du mois à 18H30
– A Paris, le 1er mercredi de chaque mois. L’adresse est différente à chaque fois
– A Rennes, la machine collective tourne le 1er jeudi de chaque mois.
– A Brest, la lessive commune se partage le 2eme vendredi du mois à 19h00.
– En Avignon, on lave tout le premier mardi du mois à 19H30 au 9 rue du Chapeau Rouge.
– Si vous souhaitez organiser le Lavomatic Tour dans votre ville, contactez le Lavomatic Tour
Plus d'infos sur : http://www.elieguillou.fr/projets/lavomatic-tour/