Je suis souvent déçue par les adresses au public, la plupart du temps injustifiées. Briser le 4ème mur. Cela se rapproche de la démagogie. Je crois que cette masse que nous sommes, le public, a sa propre vie. Que chaque être humain qui la compose reçoit, pour lui, ce qui se déroule sur scène et reconstitue le fil narratif ou le message implicite. S’adresser à lui directement, souvent, revient à contraindre son cheminement de pensée. Comme un politicien qui veut votre vote, comme un comique qui veut votre rire.
Avec son Quatrième mur, Sorj Chalandon parle de lui, fait vivre Georges pour me toucher moi, délicatement, sans me secouer par les épaules. Dans cet espace entre la page et mon visage, l’espace entre la scène et mon fauteuil réside la force de la littérature et du théâtre. C’est cet espace qui fait vivre l’histoire, qui la fait respirer pour prendre corps chez celui qui la reçoit. L’histoire, ici, c’est celle d’Antigone et du projet un peu fou de jouer la pièce d’Anouilh dans le Liban de Sabra et Chatila, avec un membre de chaque camp pour interpréter chaque personnage. Un livre pour parler du théâtre qui veut lutter contre la guerre. Au fil des 326 pages, Sorj Chalandon rappelle la nécessité des mots et de l’art, la nécessité du théâtre. Il martèle que le dérisoire et l’utopique sont essentiels, qu’il importe de rêver même si la concrétisation est un échec, que le rêve est une trêve, qu’1h15 de théâtre sont autant de minutes en suspens de nos vies, de nos contextes, de nos quotidiens, de notre passé, de nos violences. Cela n’arrêtera pas le déroulement de l’Histoire, mais cela aura permis, peut-être, de partager un battement de cœur.
Cette possibilité compte. C’est elle qui me fait écrire aujourd’hui.
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Le quatrième mur
de Sorj Chalandon
Edition Grasset
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